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quelle date de transmission héréditaire des noms de famille ?

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delangre
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Je ne sais pas si quelqu'un aurait ici des lumières sur un sujet épineux et pour lequel on trouve peu de bibliographie : la période à partir de laquelle les noms de familles sont à peu près stabilisés en France et transmis héréditairement par le père à ses enfants.

J'ai moi-même une petit expérience pratique du sujet. En compulsant les "cherches de feux" (recensements nominatifs des chefs de familles dans les villages, à visée fiscale) du Duché de Bourgogne de la fin du 14ème et du début du 15ème, j’ai pu constater que certains chefs de famille sont visiblement désignés par un surnom qui leur est propre et singulier (souvent leur métier, parfois leur caractéristique physique) et non par un nom de famille clairement établi : par exemple « le barbier de la ville » à Chavigny dans le Dijonnais en 1423 ; Jehan le boulenger, Salomon le juif, Besançon le cordonnier, Girart le drappier à Dijon en 1424 ; « Jehan le cuisinier de l’abbaye » à Chatillon en 1406… Il s’agit visiblement de surnoms individuels (liés à un métier, une particularité physique,…) qui ne semblent pas devoir être transmis aux fils qui se voient attribuer à leur tour un autre surnom individuel.

Mais, dans un article paru en 2001 (« Nommer au Moyen-âge : du surnom au patronyme – annexe « un exemple régional : le patronyme en Bourgogne au Moyen-âge » par Patrice BECK, Monique BOURSIN et Pascal CHAREILLE, dans l’ouvrage collectif « Le patronyme – Histoire, anthropologie, société », éditions du CNRS 2001), trois historiens livrent une analyse sur la formation et la transmission des patronymes en Bourgogne au moyen-âge. Ils y expliquent que les surnoms ajoutés au nom de baptême existaient avant l’an 1000 mais cette pratique était alors réservée aux notables. Elle se développe d’abord pour les hommes aristocrates à partir de 1050 : « avant 1130 ; ils sont plus de 50% à porter un surnom, et 80% avant la fin du XIIIème siècle ». Les auteurs ajoutent que « les roturiers accusent un retard, rapidement comblé cependant : ce n’est que dans les premières décennies du XIIIème siècle que le surnom devient majoritaire dans cette population mais, à la fin du XIIIème siècle, ils sont 90% à le posséder ».

Sur la transmission héréditaire de ces surnoms devenus fréquents à la fin du 13ème siècle, ils notent « La date à laquelle ces surnoms, quel qu’en soit le type, sont devenus normalement hérités de père en fils est encore inconnue avec précision. Elle diverge d’une région à l’autre. Les historiens sont toujours frappés par les quelques exemples tardifs où père et fils ou deux frères ne portent pas le même surnom. De fait, puisque l’anthroponymie médiévale est un usage social et non pas une loi, elle est souple. Elle se doit de garder de la vraisemblance, être évocatrice. »

Les mêmes auteurs ajoutent dans la partie de leur article consacrée à la formation des patronymes en Bourgogne, que cette région n’est pas une région (contrairement par exemple au midi) où les surnoms sont donnés en référence au père (« patronyme ») : les aristocrates choisissent massivement des noms de lieux (ceux dont ils sont seigneurs, probablement), tandis que pour les roturiers les sobriquets liés aux métiers sont fréquents. Alors que les surnoms sont longtemps accolés à des articles et prépositions (« le boulanger », « le boiteux »,…), ceux-ci disparaissent progressivement aux 14ème et 15ème siècles : seulement 10% des surnoms sont précédés d’un article ou déterminant, ce qui montre que ces surnoms deviennent des « noms propres ». Les auteurs précisent également que « le surnom, dès son apparition, est tant individuel que familial et lignager ; mais aux XIVè et XVè siècles, les cas de substitution ne sont pas rares : 5 à 10% d’alias avec changements de surnom ».

Donc a contrario, cela signifie que dès le 14ème et a fortiori au 15ème siècle, les surnoms se transmettent fréquemment de père en fils, même si ce n’est pas encore systématique, et s’il peut y avoir des changements de surnoms. Les noms de famille se développent à partir du 12ème siècle, et leur transmission héréditaire se développe à partir du 14ème. Mais c’est semble-t-il seulement à la fin du 15ème siècle que les noms se fixent : des registres de paroissiaux commencent à être tenus par les curés au 15ème (bien avant que François 1er ne les rende obligatoires en 1539) et en 1474 Louis XI décide que seul le roi peut autoriser un changement de nom.

J'ai donc tendance à considérer cette date de 1474 comme date-pivot pour la fixation des noms dans le royaume de France. POur moi-même mon premier ancêtre connu en ligne directe paternelle est Clément de Langres cité en 1442, nom qu'il a transmis a toute sa lignée jusqu'à moi (même si le nom s'est ensuite écrit DELANGRE).

Quelqu'un a-t-il fait des recherches, ou trouvé des sources documentaires sur cette question ? Merci.
waxonrut
waxonrut
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Bonjour !

Ceci me rappelle un article que j’ai lu il y a un certain temps : La „loi des deux syllabes“: une réponse structurelle à la fixation des noms de famille en Wallonie. Cela concerne la Wallonie, plus particulièrement Namur, donc pas la France …

La section 2 Du surnom au nom de famille: l’agglutination de l’article concerne l’agglutination du déterminant ou de la préposition « de », considérée comme un signe de la fixation définitive du surnom en nom de famille. Cela est déterminé — en Wallonie — par le nombre de syllabes du résultat, qui idéalement doit être deux. Ainsi « le Petit » devient « Petit » mais « le Grand » devient « Legrand », « de Spa » devient « Despa » mais « de Verlaine » devient « Verlaine ». Le phénomène (étudié ici sur base du registre des bourgeois de Namur — mais j’ai observé la même chose dans le Luxembourg belge) est plus tardif qu’en Bourgogne, semble-t-il. Dans le Luxembourg les déterminants et prépositions (détachés) sont encore très présents au XVIIᵉ siècle et disparaissent complètement pour les noms “trop longs” seulement au XVIIIᵉ.
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sdv1976
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excellent sujet;
comme le livre que vous citez Le Patronyme - histoire, anthropologie, société,
qui peut se lire en ligne par chapitres à l'adresse suivante:
https://books.openedition.org/editionscnrs/41619

Dans le chapitre "Le nom : origine, fixation, transmission", on lira notamment que la transmission héréditaire du surnom, devenant patronyme, ne peut être datée avec précision, que la fixation des noms s’est produite dans le cadre d’un processus inscrit dans la longue durée.

La date de 1474 et la décision du roi de légiférer sur les changements de noms est intéressante car certainement, elle consacre une pratique qui existait déjà mais qui peut être faisait l'objet d'abus, de contournements. J'imagine - sans m'appuyer sur rien de bien scientifique - que cette décision royale a surtout été un moyen de canaliser les velléités de noblesse et de titres de certains; en effet, des cas d'usurpations de titres de noblesse sont fréquemment répertoriés par les spécialistes. D'ailleurs, un bon siècle plus tard, vers 1592, à l'occasion d'un grand nettoyage dans la noblesse, les nobles voulant conserver leurs titres et leurs rangs (et les exemptions d’impôts qui étaient dues à leur rang?) ont du apporter leurs "preuves de noblesse".

La transmission héréditaire des noms de famille n'a pas été stricte ni linéaire; longtemps aussi, un nom de famille a semble-t-il pu être transmis pendant plusieurs générations puis, à un moment donné, un individu aura - pour des raisons qui lui appartiennent - changé son nom et c'est ce nouveau nom qui aura été ensuite transmis. Les migrations ont semble-t’il aussi joué un rôle prépondérant dans les changements de noms. La fixation définitive des noms d'état civil est bien plus tardive, en France à la révolution.
Le nom de famille aura pu aussi se transmettre à certains enfants plutôt qu'à tous; dans les sociétés où les garçons prévalent sur les filles et les aînés sur les cadets, le nom de famille aura pu se transmettre uniquement à ceux des enfants auxquels les règles sociales et familiales accordaient plus de droits. On peut tout à fait concevoir qu'à partir d'une même souche familiale, plusieurs noms de famille émergent: un fils prendra le nom du père de la même façon qu'il héritera d'un grande part de son patrimoine, les filles mariées prendront le nom de leur mari lequel...ne portait peut être pas le nom de son père, et les autres enfants... qui sait s'ils n'auront pas porté un autre nom de famille que celui de leur frère.

Plus sérieusement, on peut penser que la façon dont les biens étaient dévolus entre les membres du groupe se reflète aussi dans la transmission du nom.

La patrilinéarité de la transmission évoquera peut être le lien privilégié du père au fils ou à un certain fils par rapport à l'ensemble des enfants. Elle évoquera donc les relations sociales dominantes du lieu et de l'époque.

Dans tous les cas, ce qui semble faire consensus dans la communauté des chercheurs, c'est la fonction du nom de famille: distinguer les hommes entre eux et entre leurs groupes.

Si l'évolution des noms, d'un nom unique (système germanique de dénomination en vigueur au 10ème siècle) au nom double (non+surnom) trouve souvent comme justification le besoin de distinguer des individus portant un nombre restreint de prénoms, ça ne nous dit pas pourquoi.
Là aussi il n'y aurait probablement pas qu'une piste à explorer. Des évolutions indépendantes auraient pu converger vers ce besoin commun de clarifier l'identité des gens.
On sait que pendant le moyen âge, les relations de parenté n'ont pas du tout été figé en Europe, que les affaires patrimoniales et familiales s'imbriquaient dans des rapports étroits.
Si on ne peut pas répondre à la question de savoir comment quand pourquoi la transmission est devenue héréditaire, on peut concéder qu'il faut pour y répondre se remettre dans le contexte de cette partie du moyen âge d'une société féodale, inégalitaire et belliqueuse où les besoins de financer des trains de vie (nobles et cléricaux) et surtout des guerres sont prégnants. On pourrait envisager que la question de l'impôt ou plutôt les façons dont les impôts étaient perçus, à tous les niveaux, ont nécessité qu'on s'identifie mieux les uns les autres. On peut encore en parallèle tout à fait envisager qu'une coutume qui ayant court dans la noblesse (de se référer à un ancêtre éponyme - de préférence illustre même si souvent fictif - ou à un fief, une terre) ait peu à peu été repris à leur compte par des petits ou nouveaux propriétaires - de la même façon que mille an plus tôt des gaulois s'étaient romanisés y compris par les signes (par l'adoption des trois noms par exemple).

sujet intéressant qui restera ouvert longtemps, si seulement un spécialiste pouvait parvenir jusqu'à cette discussion.
Bien à vous tous
Stéphane
sdv1976
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Bonjour! Merci pour le lien vers l'article
micgail
micgail
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Bonsoir,

Toute cette argumentation me laisse un peu perplexe : Dans son mémoire de thèse, intitulé "Paix et communautés autour de l'abbaye de Cluny" (Presses Universitaires de Lyon - 2001), Didier Méhu fait mention de Jean Niçon et Jean Meschin, bourgeois de Cluny, cités dès la fin du XIIIème siècle : " En 1281 et 1282, Jean Niçon et Jean Meschin, bourgeois de Cluny, ont leur propre sceau avec lequel ils authentifient des actes de vente ou d'échange de biens-fonds avec l'abbaye de Cluny " (Recueil des Chartes de l'abbaye de Cluny C 5281 et 5293). Les Niçon, selon D.Méhu, ont formé une dynastie de notables à Cluny (mais pas seulement) comme en témoignent les diverses chartes que l'auteur a consultées pour élaborer son mémoire de thèse.

Cela tendrait à prouver, en sud-Bourgogne du moins, que la fixation des patronymes pouvait être antérieure au XIVème siècle et se transmettre héréditairement.
sdv1976
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Bonjour,
Pour mettre de l'eau au moulin, trouvé ceci qui évoque la question

Lefebvre-Teillard Anne. Le nom propre et la loi. In: Mots, n°63, juillet 2000. Noms propres. pp. 9-18;
doi : https://doi.org/10.3406/mots.2000.2201https://www.persee.fr/doc/mots_0243-6450_2000_num_63_1_2201

extraits
p 10-11
Apparaissant petit à petit, à côté du nom de baptême, pour désigner de manière plus précise, dans la seconde moitié du 11ème siècle, la personne, le surnom se généralise à partir du 14e, même si on rencontre encore au 16e siècle et parfois au-delà des personnes qui n'ont qu'un seul nom. En même temps, la tendance à l'hérédité, apparue de bonne heure dans l'aristocratie, favorise la transformation progressive du surnom en nom de famille. Au cours du 14e siècle, un peu plus tôt ou un peu plus tard suivant les régions et les groupes sociaux, le surnom du père cesse peu à peu d'être un qualificatif individuel pour devenir un qualificatif familial. Néanmoins, même ainsi transformé en qualificatif familial, le surnom reste encore instable. Parfois, comme le montre l'exemple rapporté ci-dessous, une caractéristique physique particulièrement marquée pourra faire affubler un personnage d'un nouveau surnom qui passera à son tour à ses descendants. Le fils, pour qui l'hérédité est la plus marquée, ne conserve pas forcément le surnom de son père s'il s'établit sur une autre terre ou prend un métier différent. L'usage répété de la transmission du surnom patronymique devait, cependant, fatalement conduire à une certaine stabilisation : l'individu reste de plus en plus attaché à ce nom qui, par cette répétition même, devient le nom de la famille, la symbolise. La plus ancienne lettre de changement de nom qui date de 1422, lettre extraordinaire à de multiples égards, est très révélatrice de ce point de vue. Mathurin Warrout qui veut reprendre « le droit seurnom de Fumechon » évoque cette parenté qui avait déjà fait « honte » à son père d'avoir abandonné ce «droit surnom». L'usage conduit ainsi à une certaine stabilisation des noms.
Il fait surtout naitre une coutume : celle de la transmission du nom par filiation. Dans le système juridique du Moyen Âge, l'usage répété, accepté par la population, consacré par le temps fait naitre la coutume qui se distingue du simple usage par son caractère juridique obligatoire. C'est pourquoi, dès lors que la filiation est prouvée, le père ne peut plus refuser à son fils (ou à sa fille) légitime ou naturel de porter son nom. La règle sera formellement reconnue tout au long des trois derniers siècles de l'Ancien Régime et ce n'est qu'en 1788 que le Parlement de Paris interdira à deux enfants adultérins de porter le nom de leur père, bien que leur filiation ait été prouvée. (...). De signe, le nom est devenu progressivement conséquence de la filiation. L'obligation se situe du côté du transmettant. C'est un droit pour le fils (ou la fille) de porter le nom de son père, mais ce n'est pas une obligation. Changer de nom quand on change de statut social, quand on devient, par exemple, miles ou doctor, apparaissait encore aux yeux du grand juriste romaniste que fut Bartole (+ 1357) comme tout à fait normal.

p 12
Changer de nom n'a rien encore d'extraordinaire au 16e siècle et s'effectue librement à condition toutefois que le changement soit fait sans fraude et sans porter préjudice à autrui. Tel est en particulier le cas de ceux qui acquièrent fief ou seigneurie...
(...)

p 13
l'emprise croissante de l'État à partir de la seconde moitié du 16e siècle. Le développement des lettres de commutation de nom s'inscrit dans un ensemble qui, au travers notamment de l'enregistrement des baptêmes, mariages et sépultures rendus obligatoires par l'ordonnance de Blois (1579), de l'évolution des règles en matière de preuve, laisse de moins en moins de liberté à l'individu. L'ordonnance de Moulins (1566), qui rend obligatoire la preuve par écrit pour tout contrat dont la valeur est supérieure à 100 livres, améliore la sécurité juridique... (...)
La lutte contre les usurpations de noblesse, que le pouvoir royal mène à partir de l'ordonnance d'Orléans (1560) avec une relative énergie en se montrant plus sévère sur la preuve...
delangre
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sdv1976 wrote: 18 February 2021, 17:58 Bonjour,
Pour mettre de l'eau au moulin, trouvé ceci qui évoque la question

Lefebvre-Teillard Anne. Le nom propre et la loi. In: Mots, n°63, juillet 2000. Noms propres. pp. 9-18;
doi : https://doi.org/10.3406/mots.2000.2201https://www.persee.fr/doc/mots_0243-6450_2000_num_63_1_2201

(...)
Article intéressant qui va dans le même sens que celui que j'ai cité.
Le lien que vous mettez ne fonctionne pas (ou pus), mais votre article peut être consulté sur Persée :
https://www.persee.fr/doc/mots_0243-6450_2000_num_63_1_2201
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